Préface de Rémi LAINE

réalisateur du documentaire "La Rançon" 2017

Un homme d’honneur

«… dans cette rue du colt-qui-crache doit déambuler un homme qui n’est pas un tueur, qui n’est ni taré ni apeuré. Il doit être un homme complet, un homme comme tout le monde et en même temps un homme exceptionnel. Il doit être - pour
employer une formule un peu éventée - un homme d’honneur… »

Raymond Chandler, post-face de La Rousse rafle tout.
À découvrir son livre, je dirais que l’un de mes seuls points communs avec David, ce sont nos lectures d’enfance qui ont contribué sans doute à nous inoculer le virus de la bougeotte et de l’aventure. À part ça, David me fait l’impression d’une sorte d’homme à part. Je ne suis guère va-t-en-guerre. Lui n’a pas peur d’y aller. Ne le rebutent ni la boue, ni les moustiques, ni les méchants, tout ce qui me tient à distance de certaines contrées. Je suis pétri de doutes, David se complaît dans l’action. Mais tout cela, je l’ignore encore quand je pars à sa rencontre.
On me l’avait annoncé infréquentable, trop franc-tireur, ne s’encombrant ni des convenances, ni du langage châtié qui convient en bonne société et pour tout dire, il avait la réputation d’un vilain petit canard -dans un marigot bien pourvu en crocodiles, soit-dit en passant. Je courais alors le monde en quête d’un « gestionnaire de crise » pour occuper le premier rôle de mon film documentaire consacré aux négociateurs de prises d’otages. Mon personnage principal, un ténébreux cow-boy vénézuelien, venait de me lâcher. Il était lui aussi de la trempe de ces héros de Chandler. Mais il trouvait que se laisser filmer dans ses activités quotidiennes le désignerait aux yeux des pistoleros de tous poils comme un homme à abattre. Après quelques jours de tournage, il m’avait réclamé une provision « à sept chiffres » pour poursuivre, afin de se retirer des voitures dans un exil doré à Miami une fois le film à l’écran. Ma talentueuse productrice avait réuni un budget confortable pour un documentaire, mais seulement à six chiffres… Autant dire que l’ultime exigence de mon camarade de Caracas avait mis un terme à notre collaboration. Et je finissais par désespérer de trouver celui qui accepterait que je suive ses pas.
Les Français, m’avait-on laissé entendre, faisaient figure de demi-sel dans le milieu très fermé des gestionnaires de crise. Pour la simple et bonne raison que ces derniers opèrent en général pour le compte de grandes compagnies d’assurances  internationales, dans les pays où l’état de droit est sévèrement bancal (la France n’en fait pas partie, n’en déplaise à quelques esprits chagrins qui ne voyagent pas assez) et que ce sont les Anglo-saxons et quelques Latinos qui tiennent le haut du pavé.
Autant dire que j’allais au-devant de David sans guère d’illusion. Nous avions rendez-vous dans un Salon de la Sécurité quelque part dans le grand Lyon. Jeep, chewing-gum, costume un peu étroit et chaussures élégantes, bras-dessus bras-dessous avec quelques éminentes barbouzes : je ne peux pas dire qu’au premier abord, j’aurais donné cher de l’avenir de notre relation. Cerise sur le gâteau, lors de cette première rencontre, David me brusque un peu. Il est pressé de rejoindre ses affaires, un ancien préfet de police lui tient la jambe pour s’assurer une reconversion dans la sécurité privée, il n’a que peu de temps à  m’accorder, trouve incongrue l’idée d’un film documentaire sur son métier « qui n’en est pas un ». Tout est donc réuni, pour qu’on ne se revoit jamais.
Allez savoir pourquoi. Quelque chose chez cet homme m’a intrigué. Je ne l’ai pas lâché. Je suis retourné le voir, j’ai passé du temps avec lui. Il m’a raconté des anecdotes d’abord. Puis des histoires. Il a fini par m’introduire auprès de quelques contacts de son carnet d’adresse. Un Sud-africain, un ancien légionnaire français établi au Nigeria, un Australien, deux Danois, une Espagnole, un Britannique, et, top on the top, le légendaire Chuck, un Texan ancien négociateur en chef du FBI dont j’apprendrai en progressant dans mon aventure qu’il est une sorte de parrain de la négociation de crise. J’ai découvert, vu la qualité de l’accueil quand je me réclamais de lui, que David était un élément essentiel dans une sorte de confrérie internationale.
Je ne sais pas si je lui ai fait pitié, s’il a été séduit par mon acharnement ou si mon projet de film infaisable a fini par l’émouvoir mais il a accepté de m’emmener avec lui sur une mission. Nous sommes partis en Afrique, on a appris à se connaître un peu mieux. Il m’a éclairé sur son métier, ses codes, ses subtilités, ses traditions, ce qu’on peut dire (pas grand-chose) et ce que l’on doit taire (l’essentiel), coûte que coûte.
Grâce à ses contacts, à ce qu’il m’a appris de ce milieu fermé comme une huître, en avançant à pas comptés, j’ai fini par faire mon film, Rançon, qui a été diffusé dans plus d’une vingtaine de pays *.
Je le lui dois et c’est déjà beaucoup. Mais bien au-delà, David m’a conforté dans la conviction qu’il y avait parfois un gouffre entre l’impression de premier abord et ce que l’on découvre ensuite des hommes et des femmes. Qu’il faut du temps pour accéder au cœur. Et puis, quelque chose de plus complexe, que j’ai aussi appris des anciens otages. C’est dans la crise que l’on juge de la stature. Dans ces moments-là, celui qui agira en sauveur, bravant tous les dangers, se trouve parfois -pour ne pas dire souvent- aux antipodes de tout ce qui, a priori, vous attire vers l’autre. Les croyances, les opinions politiques ou religieuses, le « feeling », les goûts et les couleurs. J’ai vu un ancien otage, intellectuel de gauche raffiné, nouer une fraternité indéfectible, à la vie à la mort, avec un ancien soldat des forces spéciales brut de décoffrage, venu le libérer arme au poing du cul de basse-fosse où le retenaient quelques brigands.

Tout ça pour dire que je ne passerais peut-être pas toutes mes vacances avec David. Mais non seulement j’ai passé avec lui des moments inoubliables et si d’aventure un jour, il m’arrive un gros pépin, il fait partie des très rares que je rêverais d’avoir à mes côtés.

Rémi Lainé
Réalisateur

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